Elvira était sublime, comme à son habitude, vêtue de rouge sombre agrémenté de noir. Songeuse, elle c’était approchée de la fenêtre, son regard porté sur le dehors. Lui-même attendait. Patient. Comme à son habitude, comme toujours. Une patience qui l’avait bien servit, tout au long de son existence. Surtout avec elle, sans doutes, sur tellement de plans…

« Parfait. »

Un simple mot, qui exprimait de la satisfaction, sans doutes, mais surtout un soulagement, pour lui qui la connaissait si bien. Il avait toujours aimé la rassurer. Surtout depuis qu’elle était devenue sa sœur. Ou plutôt, il n’aimait pas la voir inquiète, particulièrement quand il pouvait y remédier…

« Effectivement, je n'ai pas pris la peine de vous mentionner les règles importantes de votre mission. Je comptais le faire un peu plus tard dans la journée, mais comme vous êtes en ce moment même, devant moi... »

Devant elle… Tout était relatif, mais il ne releva pas. Il savait que la belle Lady allait tourner un peu autour du pot, distillant les détails peu à peu. Il travaillait avec elle depuis assez longtemps, de manière assez proche, pour comprendre ce genre de choses naturellement, avec une chance infime de se tromper… Mais comme il ne communiquait jamais ces impressions presque intuitives et que toute façon il n’était dérangé par aucune des attitudes de la jolie blonde…

« C'est un meurtre, cette fois-ci, lieutenant. »

Elle avait lâché cette indication dans un murmure, et il pouvait presque l’entendre sourire. Ce n’était pas tout. Si ça avait été un simple meurtre, elle lui en aurait juste fait part à Port-Royal, dans son bureau, sans se donner la peine de venir jusqu’ici. Les meurtres faisaient partie de ses attributions. Comme bien d’autres choses. Ce meurtre était donc particulier, dans sa réalisation, dans ses implications ou dans le choix de sa cible…

« Il y a un homme qui parle trop, qui en sait peut-être trop-- qu'importe au fond, je désire le voir se retirer du jeu. »

Et pour un retrait définitif, donc. Un mince sourire aux lèvres, Davidson inclina la tête avec légèreté, en signe d’acceptation. Elle ne pouvait pas vraiment le voir, mais ça n’avait aucune espèce d’importance. Avait-il jamais refusé de faire quoi que ce soit pour elle ? Pour sa chère demi-sœur ?

« Un meurtre, Milady ? Ce ne devrait pas poser de problèmes. Les meurtres sont généralement des affaires fort simples à mener… Généralement. »

Quoi de plus facile que de prendre la vie d’un homme mal protégé ? Quelques gouttes de poisons, une dague, une balle. Ou tellement d’autres choses… Et qui se protégeait correctement, dans cette ville américaine ? Certains étaient méfiants, mais il avait de l’expérience. Et au pire, il savait à qui s’adresser, ici comme ailleurs… Cela faisait partie de son travail, de trouver ces gens-là. Pas seulement pour les utiliser, en fait…

« Toutefois, si vous me le permettez, Milady, vous ne vous seriez pas déplacée en personne pour un simple meurtre… Un meurtre « général », si j’ose dire. »

Le jeune Baronnet ne prenait aucun plaisir particulier au meurtre. Ou à la torture. Mais il avait toujours apprécié les entreprises bien menées, et une légère difficulté supplémentaire, de temps en temps, ajoutait une pointe de satisfaction… Bien sûr, trop de satisfaction tuait la satisfaction : il appréciait aussi grandement les affaires qui marchaient exactement comme prévu…

« Quelle sera donc la cible… Et quelles données particulières voudriez-vous intégrer à ce meurtre ? »

Bien sûr, il avait déjà quelques idées de ce qu‘elle pourrait vouloir, pour la première comme pour la seconde question. Mais il préférait ne pas trop avancer d’hypothèse… Elle serait capable de vouloir la mort de tous ceux qu’il citerait, et autant se concentrer sur une seule personne à la fois, n’est-ce pas ?

« Peut-être voudriez-vous voir vous-même la mort de ce trop bavard personnage mystère ? »

Cette hypothèse-là, par contre, ne coutait pas grand-chose. Sa façon de parler, ses paroles, son attitude… Il aurait parié sur un affront qu’elle considérait comme « personnel », du genre qui méritait d‘être laver « personnellement », c’est-à-dire en sa présence … Et il a déjà été dit qu’il ne se trompait presque jamais sur ce genre de choses…

Sa magnifique demi-sœur avait tourné vers lui son regard d’émeraude, et il n’en décodait que mieux le plaisir anticipé qui scintillait en elle. Ce n’était pas vraiment comme s’il en avait eu besoin. Il la connaissait trop bien, après cinq années à son service, remplissant toutes ses basses besognes, connaissant une bonne part de ses machinations, devinant la plupart de ce qui restait. Pas plus qu’il n’avait réellement besoin de la confirmation qu’était ce scintillement, ni de son doublé oral. Qui vint pourtant. Comme de bien évidemment…

« C'est ce que j'avais justement à l'esprit, lieutenant. »

Un zeste d’amusement c’était glissé dans la voix d’Elvira, qui fit imperceptiblement se relever le coin de ses lèvres. Il n’avait jamais été choqué par ce genre de choses. Encore moins chez elle. D’autres trouvaient cela malsain, lui avait d’abord été sans avis. Maintenant, il considérait ça comme naturel…

« Assister personnellement à cette exécution prématurée. Vous l'amènerez en ces lieux, bien entendu, ce sera beaucoup plus simple. Quant à son identité -- j'ai un papier, ne bougez pas. »

Bien entendu. Il n’aurait jamais imaginé lui demander de se déplacer quand il pouvait amener lui-même la personne a destination. Au pire, il faudrait peut-être débourser un peu d’argent supplémentaire pour réparer les dégâts occasionnés à la chambre - le sang, c’était une horreur pour les bons tapis ! - mais on n’en était pas à quelques pièces près quand il s’agissait du bonheur de Milady. Celle-ci, justement, avait parcouru la pièce pour aller chercher un parchemin plié en quatre.

« Lord Harold Greenwich. Cet homme m'a injustement manqué de respect, lors de sa dernière visite à Port Royal. Il me semble être suspect, et m'a ouvertement menacée. Il pourrait en savoir bien trop, à l'avenir, s'il daigne se pencher davantage sur mes affaires personnelles. Son influence au sein de la Cour, me semble inappropriée. Je préfère être prévenante. »

Davidson hocha la tête en empochant le papier que lui tendait sa demi-sœur. Il se souvenait vaguement de la dernière visite de Greenwich dans le fief de la Lady. Cela faisait partie de son travail que de se souvenir de ce genre de détails. L’homme n’avait pas, à sa connaissance, menacé clairement la damoiselle, sans quoi il aurait tiqué immédiatement. La protéger restait une de ses priorités. Mais il avait apprit au fil des ans que les définitions d’Elvira pour « affront » ou « menace » étaient différentes des standards généralement établis. Et il se conformait à ses définitions, bien évidemment…

« Toutes les informations nécessaires au bon déroulement de votre mission se trouvent sur ce parchemin, Brown. »

Et elle lui fournissait des informations, en plus. Il fallait croire que c’était un de ses bons jours, et qu’elle avait particulièrement envie de voir l’impertinent Lord à ses pieds, attendant la mort. Cet imprudent personnage avait dû offenser plus d’une fois sa demi-sœur, de façon plus discrète, avant de faire finalement déborder le vase, pour qu’elle tienne tant à sa vengeance personnelle…

« Comprenez, très cher, que la discrétion est de rigueur. »

Sa tête s’inclina de nouveau en signe acquiescement. C’était une évidence. Quelque chose lui disait que l’entourage de Greenwich n’allait pas accepter de le laisser faire s’il assommait le Lord en pleine rue pour le ramener ici en le traînant comme un vieux sac…

« Bien entendu, Milady. »

Le chemin de ses iris sombres croisa celui des bijoux de jade qui leur faisaient face, et dans ce regard était exprimer tout ce qu’avaient toujours exprimer ces trois mots, depuis qu’ils se connaissaient ou presque. Elle pouvait compter sur lui. Ce n’était pas encore cette fois qu’il allait lui faire défaut.

« Je vous ramènerais cet odieux personnage dans les plus brefs délais, et en toutes discrétion, cela va de soi. Sauf si vous choisissez par la suite de le faire savoir, personne ne pourra vous relier à sa disparition… Ou à son meurtre. »

Personne non plus ne pourrait interrompre ce qui se déroulerait dans la chambre, quoi que ce fût par ailleurs. Ce serait loin d’être la première fois qu’il tuerait ou torturerait au nom de la jeune beauté… Ou même en sa présence, d’ailleurs.

« Milady. »

Le Baronnet s’inclina profondément devant la Lady, avant de prendre congé. Dans sa poche, un parchemin portant le nom déjà communiqué, ainsi qu’une adresse de résidence. Il n’avait pas besoin de plus… C’était son métier, après tout, presque sa passion…

Davidson, pas sensible aux charmes d’Elvira ? Ou à sa prestance, à son aura ? Bien loin de là. Dans les premières années de leurs collaborations, il avait souvent porté ses pensées sur le sublime blonde qui lui servait de supérieur direct, et rarement des pensées chastes, avouons-le. Mais c’était un homme polit, loyal, distingué, et bien éduqué. Cela n’avait été qu’une fois qu’ils s’étaient mieux connus, qu’il avait admiré l’esprit de la noble autant que son corps, qu’il avait tenté quelques ouvertures, qui avaient débouchées sur quelques scènes, brèves, mais qu’il se serait fait un plaisir d’allonger, si on lui en avait laissé le temps. Puis il y avait eu la mort de son père, qui l’avait fait s’attacher plus encore à elle, par réaction. Un attachement fait de loyauté, mais qui n’avait bien sûr par diminué son sentiment d’attirance pour elle, que du contraire même…

Mais voilà, le remariage de sa mère, avec le père de la Lady, avait fait d’eux des frères et sœurs, et avait brisé toutes les envies qu’il avait pu nourrir. Au bout de quelques temps, il l’avait accepté. Pas elle, et il le savait bien. Cela faisait partie de la distance qu’elle avait instaurée entre eux… Il se força à sortir de ces pensées pour revenir totalement à l’instant présent, et à ses paroles.

« Je vous fait confiance, lieutenant. »

Une confiance qui l’honorait, mais qu’il savait avoir grandement mérité. Il inclina tout de même la tête pour la remercier, comme toujours. Puis tout fût dit. Il la salua, elle lui rendit son salut, toute aussi formelle, et il s’en fût doucement accomplir la tâche qu’elle lui avait fixée…

************************

La nuit étendait sur la ville son manteau piqueté d’étoiles quand il rentra à l’auberge. Il paya sans rien dire les deux hommes qui avait porté jusqu’ici le « colis », et qui le déposèrent à terre plus ou moins doucement. Ils ne savaient pas ce qu’il y avait dans le sac de toile, et s’ils l’avait deviné, ils ne posèrent pas de question. C’était des hommes taciturnes, on les payait aussi pour être discrets. Bien sûr, il fallait les surveiller, il fallait toujours surveiller tout le monde dans ce genre d’entreprise, mais ils connaissaient assez les réalités des choses pour savoir que des gens comme eux ne survivaient jamais assez pour tirer le moindre bénéfice d’une éventuelle tentative de dénonciation. C’était leur métier. Il leur rapportait assez pour qu’ils se taisent.

Resté seul devant l’entré de service, il y toqua. Comme il l’avait demandé, il y avait quelqu’un, qui lui ouvrit. Il entra, portant son « colis ». Le jeune homme qui lui avait ouvert, travaillant à l’auberge, lui demanda s’il voulait qu’il l’aide à porter son bagage jusqu’à sa chambre, il accepta. Ensemble, ils portèrent leur charge jusque devant les chambres du Baronnet et de sa demi-sœur. Le Lord n’était pas particulièrement lourde, mais l’ascension des escaliers avait été plus facile à deux. Il remercia son aide, lui donna un joli pourboire pour la peine, et lui signifia aimablement qu’il pourrait se débrouiller seul. Une fois que le jeune homme eut disparut, Davidson épousseta d’une main sa tenue, avant de la passer comme à son habitude dans ses cheveux, puis toqua à la porte, légèrement.

Chargeant son « colis » sur son épaule, il entra ensuite, sans attendre de réponse, et referma derrière lui. Elvira était là, sur le balcon, tournée vers l’extérieur, la tête levée pour contempler la voûte céleste. Il ne s’en formalisa pas, se contentant de déposer son fardeau à peu près au centre de la chambre, sur le tapis, et d’incliner ensuite la tête, toujours aussi polit, distingué et respectueux.

« Lady Grey. »

Son ton semblait identique à celui qu’il avait eu, quelques heures plus tôt, en prononçant ces mêmes mots. Il était constant, ce noble Lieutenant en Chef, et sa fidélité ne variait de toute façon pas…

« J’espère ne pas vous avoir trop fait attendre. Je vous ais ramené ce que vous m’aviez demandé. »

Il disait ça comme s’il s’était agit d’aller chercher le pain au coin de la rue, ou de lui ramener des papiers qu’elle aurait laissé dans le bateau. Comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Et dans un sens, pour eux deux, ça l’était…

« Il ne devrait pas tardé à se réveiller. »

Comme pour confirmer ces paroles tranquilles, le sac s’agita très légèrement. Un mince sourire satisfait étira les lèvres du Baronnet. Visiblement, son dosage avait été bon. L’homme ne c’était pas réveillé trop tôt, durant son transport, ou juste au moment d’arriver à destination, mais Elvira n’aurait pas à attendre des heures qu’il se décide à le faire…

Elvira s’était retournée vers l’étrange duo - le ficelé et le ficeleur - et s’approcha avec lenteur de leur prisonnier étalé pitoyablement sur le lit, dans son sac à patates, image même de la noblesse incarnée, le port fier et hautain, renforçant encore le contraste entre les deux soi-disant nobles - car le second ne méritait certes pas ce titre - entre la belle Lady et le minable pseudo-Lord qui à présent été remis à sa juste place. Et qui, en plus du reste, se réveillait fort commodément au moment opportun. Davidson n’espérait pas un timing aussi juste, mais ça faisait toujours plaisir de voir que ses victimes avaient la bonté de s’accorder avec la situation…

« C’est une bonne nouvelle, lieutenant. »

Le Lieutenant en Chef sourit en l’entendit rire. Il avait toujours aimer son rire, mélodieux comme mille clochettes de cristal, et plus encore il avait toujours aimer la faire rire. Plus encore depuis qu’elle était devenue sa très chère sœur, car cela indiquait son contentement et son bonheur.

« Nous allons le faire parler, et vite regretter ses dires, avant d’accomplir notre devoir, Brown. »

Davidson hocha la tête pour marquer son accord. Il pouvait sentir le sadisme poindre peu à peu dans le regard et dans la voix de sa demi-sœur, ce qui indiquait un bien mauvais moment à passer pour le pauvre hère qu’elle lui avait fait cherché et qui était maintenant entre ses délicates mains…

« Cette fois-ci, vous le torturerez quelque peu avant de le faire disparaître de la surface de ce pays, et ce, à tout jamais. Faites en sorte qu’il se souvienne du voyage…Il ne risquerait guère d’être déçu. »

En effet, ça flairait définitivement mal pour le pauvre homme. Mais le Lieutenant en Chef ne dit rien. Il n’y avait rien à dire. Attirer la colère de sa très chère sœur était une raison largement suffisante pour mourir, et il avait déjà fait bien pire pour elle. Il la regarda donc, impassible, défaire le nœud qui retenait prisonnier le Lord puis se reculer, pour contempler avec lui le spectacle de l’aristocrate qui se tortillait comme un ver de terre pour s’extirper du sac.

« Lord Harold Greenwich, quel plaisir de vous revoir en ce sordide lieu depuis notre récent entretien... »

Cette fois, c’était pour de bon du sadisme pur et dur qui brillait dans les émeraudes du regard d’Elvira, alors qu’elle avait dégainé un petit couteau à la lame argenté et le faisait tournoyé entre ses doigts fuselés, donnant naissance à une infinité de reflets lumineux. Et, encore une fois, Davidson dû s’avouer qu’il la trouvait terriblement belle et séduisante ainsi, avec ces yeux sadiques et ce port de reine, plus encore que d’habitude, si cela était possible.

« Si vous le voulez bien, nous allons commencer, Milady… »

Polit, efficace et respectueux, comme toujours, il ôta le bâillon du noble pour le laisser s’exprimer tout son saoul, et permettre par la même à sa demi-sœur de se régaler de ses cris, de ses supplications et de tout le reste. Il ne fallait pas qu’il hurle trop fort non plus, et il le lui apprit d’un violent coup sur la nuque quand il essaya de faire entendre sa voix. Au bout de quelques-uns de ces contacts prévus pour être douloureux, il comprit qu’il fallait modérer ses ardeurs vocales, et Davidson cessa de s’en soucier. S’il trouvait sa sœur terriblement belle quand le sadisme brillait dans ses yeux, il n’en avait pas en stock lui-même. Il faisait son travail, rien de plus, rien de moins.

« Je vous conseil de complaire à Lady Grey, il se pourrait qu’elle abrège un peu vos souffrances… »

Et il sortit sa propre dague pour commencer son travail, efficace et méticuleux, le faisant baisser le volume de temps en temps pour qu’Elvira puise poser ses questions ou lancer ses sarcasmes. Une fois qu’il lui eût découpé quelques parcelle de peau pour de mettre en route, il commença à lui casser les doigts puis les orteils un à un, le plus douloureusement du monde…

Elvira salua sa remarque d’un rire, et il ne pu empêcher un bref sourire d’effleurer ses lèvres. Il aurait bien tapoter l’épaule de sa victime en lâchant un « Oups, désolé… Tout le monde peut se tromper, hein ? », mais ce n’était pas vraiment dans sa nature. Donner l’occasion au pauvre homme de savourer la profondeur de sa tourmente, oui, qu’il regrette bien d’avoir pu s’en prendre à sa très chère demi-sœur - quoi qu’il ait pu lui faire - mais pas se montrer démonstratif. Il était protecteur, pas sadique. Il continua sans émotion mais avec une conscience toute professionnel à s’appliquer sur le noble - ou ex-noble - attendant la suite des événements. Parfois il y avait effectivement des questions, et l’espoir était un bon contrepoids à la douleur pour arracher les réponses, parfois même pas. Ce n’était pas à lui d’en juger, d’ailleurs…

De temps en temps, il jetait un coup d’œil à la femme qu’il servait si fidèlement, sans détourner véritablement son attention effective de sa tâche, avant tout efficace, comme toujours. Elle était là, contre le mur, jouant encore avec son couteau étincelant, l’air plus sadique, plus cruelle, et aussi plus belle que jamais. Il savait qu’elle était tout à fait capable de se servir de ce couteau. Ou d’un fouet, ou d’un autre instrument de torture. Ou même d’un pistolet. Elle tirait bien, sans doutes même mieux que lui. Il avait eût l’occasion de voir cela, bien des fois, tout comme il avait eût le loisir de torture pour son plaisir, son plaisir à elle, bien des fois. Cela faisait partie de leur relation. Il aurait tout fait pour elle, même les choses les plus horribles, et elle lui demandait souvent d’accomplir les pires. Et il avait accepté tout ce que bien d’autres auraient appelés ses travers, sans protester, sans reculer, sans même être écœuré, sans concessions. Comme tout le reste, d‘ailleurs.

Finalement, comme elle le faisait souvent, elle fini par prendre la parole. Cela faisait partie du jeu, bien sûr. La simple conscience de la raison de son malheur devait bien pénétré l’homme avant sa mort. La raison de son malheur, c’était elle, Elvira Grey. L’affront qu’il lui avait fait. Un acte impardonnable, puisqu’elle le jugeait ainsi, et il fallait bien qu’il le sache. Cela rendait les choses tellement plus claires, oh oui, douloureusement plus claires, aussi douloureusement que son os craquant dans un bruit funeste et bien particulièrement répugnant, alors qu’il lui retournait l’index droit…

« Ses cris sont horribles, lieutenant. »

On pouvait dire ça comme ça, en effet. Lui n’y faisait plus attention depuis longtemps. Il hocha néanmoins la tête, entrevoyant déjà la fin de cette affaire. Il la connaissait bien, très bien même, presque aussi bien qu’il se connaissait lui-même, et le ton autoritaire qu’elle adoptait ne le dérangeait pas le moins du monde, que du contraire. Il avait toujours trouver qu’il lui allait parfaitement…

« Je ne tolérerais pas le fait qu’il ameute tous les clients de la taverne… Bien que je vous reconnais là le choix judicieux du dit établissement. Ainsi reculé, à l’écart des commerces bruyants de la ville… Nous risquons d’être bien tranquilles. »

Il hocha à nouveau la tête, signifiant son accord. Le lieu ne devait rien au hasard, bien sûr. Rares étaient les choses qui relevaient du hasard quand il accomplissait une tâche pour elle. Toujours aussi impassible, il la regarda approcher, et nota que les plaintes de sa victime, dont l’état se dégradait de plus en plus, tournaient maintenant autours de deux thèmes principaux : d’abord le regret total de ce qu’il avait fait, ensuite la supplication pathétique de la clémence. Prévisible.

« My Lord à compris la leçon, lieutenant. »

« Bien, Milady… »

Aussi polit et courtois que d’habitude, il inclina une nouvelle fois la tête, mettant un terme à son office, le visage aussi calme et détendu que d’ordinaire, ses yeux brillants peut être un peu de la satisfaction de la tâche accomplie. Pas très différent de ce qu’il aurait été si elle lui avait signifiée qu’elle avait assez de sucre dans son café, ou qu’elle avait terminé une tournée, en fait… Si Davidson n’était pas du genre sadique, il n’était pas non plus dans son caractère de s’émouvoir outre mesure de ce genre de situation. C’était une simple relation de cause à effet, et la reconnaissance d’une vérité toute simple. Quand une limace comme celle qui se trainait sur le lit insultait un être qui lui était si manifestement supérieur en beauté, en charisme et surtout en noblesse, elle finissait tôt ou tard par en payer le prix. Quelle que soit la teneur de ladite insulte. Celle-ci était plutôt conséquente comparée à certaines autres, comme le fait d’exister ou de respirer le même air que la Lady…

Il regarda la jeune femme tracer un sourire de sanglant sur le visage du noble hurlant, avant de lui trancher la langue avec précision. Elle maniait vraiment bien le couteau, il se le dit une nouvelle fois. Cela faisait partie des choses qu’il avait trouvé agréable de découvrir chez elle. Jamais il n’aurait pu attacher sa fidélité à quelqu’un d’incompétent ou qui aurait prit peur à la vue du sang de ses ennemis. Professionnelle, elle alla jusqu’à essuyer sa lame, comme il l’avait avec la sienne fait lorsqu’elle lui avait signifié de s’arrêter de torturer leur victime…

« Je ne crois guère qu’il oserait parler à nouveau, à présent, lieutenant. »

Il opina de nouveau du chef. C’était probable, en effet. La douleur cela dit, il gémissait encore pitoyablement, assez mal toutefois, sans doutes à cause du sang qui emplissait sa gorge…

« Jetez lui du sel sur sa bouche, afin de voir s'il pourrait encore parler...Ou tuez-le, j'en ai assez de lui maintenant. »

« Comme il vous plaira, Milady… »

En quelques pas, il eût gagné son sac, préparé tout exprès au cas où les choses se seraient un peu prolongées, et en sortit un récipient de cuir à goulot de bois, contenant du sel, qu‘il débouche d‘un geste du pouce. Il regagna le « Lord » et, lui faisant ouvrir le bouche d’un coup de poing qui aurait presque pu passer pour distrait s’il avait été asséné par quelqu’un d’autre, lui versa une belle quantité de sel dans la bouche. Une fois qu’il estima la quantité suffisante pour bien faire s’agglutiner le sang, il enfonça le goulot dans sa gorge un long moment, jusqu’à se que les spasmes et les gémissements suppliants se soient tût et que les yeux aient roulés dans leurs orbites.

« Voilà qui est fait, Lady Grey. »

Inclinant la tête vers elle avec respect, il ôta le goulot, faisant tombé le sel taché de sang dans la bouche horriblement ouverte, puis l’essuya avec un bout propre de la couverture majoritairement imbibée du même liquide et reboucha l’outre, avant d’aller la remettre en place. Aussi calme et prosaïquement efficace que s’il venait de saler un peu sa soupe avant de la boire, il revint ensuite vers sa très chère demi-sœur, attendant de voir si elle avait besoin d’autre chose…

Davidson était impassible ce soir là, en effet, comme tous les autres soirs ou tous les autres jours du même genre. Tous ceux qui étaient venus, et sans doutes aussi tous ceux à venir. Il était ainsi, et depuis le temps cela faisait partie de leur relation. Il l’aurait suivit dans n’importe quoi, n’aurais reculé devant aucune de ses atrocités, aucune torture, aucune cruauté. Sans désapprobations, sans craintes, mais aussi sans sadisme. Complice de toutes ses tortures, toutes ses magouilles, tous ses meurtres, tous ses crimes. Un complice impassible mais toujours présent, soutenant sa très chère sœur dans tous ses projets et toutes ses actions.

« C’est on ne peut plus parfait, Brown. »

Un sourire naquit sur ses lèvres, cette fois, un sourire satisfait et content. Parfait. Un mot qu’il adorait lui entendre dire. Il l’avait regardé examiner les grains de sels gorgés de sang qui avaient mit fin aux souffrances du pseudo-noble - comment aurait-il pu être noble à côté d’elle ? - et était heureux de voir que cette touche finale recueillait son approbation.

« Notre ami nous à bien divertit, reconnaissons-le. »

Davison acquiesça d’un hochement de tête. Il la connaissait assez bien pour pouvoir confirmer qu’en effet, elle avait été tout à fait divertie, son rire délicieux ne faisant qu’ajouter à cet état de fait impossible à nier en lui-même, et cela s’ajoutait à sa satisfaction. C’était sa sœur, son devoir était de la rendre heureuse, et elle l’avait visiblement été alors que la souffrance de l’ex-Lord se répandait dans l’air alors que son sang coulait de son corps. D’autres ce serait sans doutes inquiétés du sadisme qui se développait de plus en plus chez Elvira, mais pour lui cela faisait partie des choses qui la rendait tellement unique et digne d’être suivie jusqu’au bout du monde…

« Je me dois de vous féliciter, lieutenant, ce fut une agréable soirée… »

Elle tourna la tête vers lui pour lui adresser un sourire satisfait, et il le lui rendit. Il aurait pu passer sa vie à tirer de tels sourires et de telles remarques à cette magnifique jeune femme qui était sa sœur par alliance et son employeuse. En fait, il y passait réellement sa vie, dans un sens…

« Et à présent, lieutenant ? Que comptez-vous faire de son corps ? »

Brown inclina la tête devant la jeune femme, aussi polit et respectueux qu’un instant plus tôt, aussi polit et respectueux que toujours. Il espérait qu’un jour cette politesse mutuelle s’efface au profit d’une relation fraternelle plus franche, mais en attendant…

« Je suis heureux d’avoir pu vous complaire, Milady. Vous savoir heureuse de votre soirée et satisfaite de la punition qui a été infligée à ce malappris est une récompense en soit. »

Ce qui était tout à fait vrai. Il s’étonnait d’ailleurs, depuis le temps, qu’il reste encore des gens n’aillant pas fait le rapport entre les affronts fait à sa sœur et les disparitions plus ou moins inexpliquées selon les cas qui suivaient. Cela aurait dû leur dicter leur attitude, tout de même. Les larves se devaient de s’écraser devant leurs supérieurs, et les « nobles » de tout poils de s’incliner bien bas devant Elvira Grey. Peut-être un jour comprendraient-ils cette évidence…

« Quant à celui-ci… »

D’un geste presque méprisant, il désigna la cadavre, ce qui avec lui valait mieux qu’un long discours. Il n’y avait pas beaucoup de noble d’envergure dans le monde, mais celui-ci était vraiment en dessous de tout. Il avait demandé grâce tellement vite…

« Je pense qu’il sera à sa place avec ses semblables, dans les eaux du port, avec les cadavres des miséreux et les ordures. On le retrouvera bien un jour… Ou pas. Je ne pense pas que sa famille regrette beaucoup un homme tel que lui, de toute façon. »

Un mince sourire effleura un instant les lèvres du jeune homme, puis il redevint l’impassible et constant Davidson, s’apprêtant à demander la permission de se retirer puis à aller prendre toutes les dispositions nécessaires, comme les gens pour transporter le corps maintenant sans vie du pauvre fou qui avait osé s’en prendre à l’honneur de sa très chère sœur…